Taï Sitoupa

Le Bardo de la mort

retranscription d'un enseignement de

Taï Sitou Rinpotché

 

 

donné à Kagyu Ling (1988)

 

En général, la mort est un évènement que tout être humain va connaître une fois dans sa vie. Une seule fois, bien sûr, mais de manière suffisamment réelle pour qu’aujourd’hui, nous nous intéressions à ce sujet. C’est l’évènement qui met fin à une vie. Il en est sa terminaison. C’est donc un évènement crucial. Il est donc nécessaire d’en parler. Depuis deux ans, j’ai été extrêmement étonné de voir combien d’efforts sont faits par diverses personnes dans le monde et par des organisations pour apporter cette aide aux mourants. Et qui le font avec cette inspiration de vouloir aider ces personnes. Ainsi, nous ne sommes pas les seuls à réfléchir à ce problème. Énormément de gens, et sur toute la surface de la terre, ont tous perçu qu’il y a d’énormes bienfaits qui peuvent être retirés de cette aide donnée aux.

Dans les enseignements du Bouddha, il y a beaucoup d’enseignements sur la mort. Bien sûr, le Bouddha n’a pas parlé de la mort pendant ses 45 années d’enseignement, mais ç’en est une partie. Dans l’enseignement du Bouddha, il y a le principe des quatre rivières. Tout individu, dans sa vie, a quatre rivières à traverser: la naissance, le vieillissement, la maladie, la mort. Ainsi, la mort fait partie du processus des quatre rivières essentielles, et est donc une partie importante de cet enseignement.

Dans toute l’histoire humaine, la mort joue un rôle très important. Toutes sortes de vies personnelles ont été profondément affectées par la mort. Toutes sortes de principes religieux et philosophiques sont basées sur la mort. À partir de cette base, des gens travaillent avec d’autres. La mort est donc un concept, un sujet ou un problème qui a toujours été important, et je pense qu’il le sera toujours. C’est pourquoi il faut bien savoir ce que le Bouddha a enseigné, pourquoi il l’a enseigné et quels sont les principes de cet enseignement.

La raison fondamentale pour laquelle le Bouddha a beaucoup parlé de la mort dans son enseignement, est la suivante: quand une personne meurt, c’est le dernier moment de sa vie. Et pour cette raison, cette personne devient complètement honnête. Pendant l’existence, une personne peut-être pas trop gentille peut se prétendre très gentille. une personne pas très pure, prétendre qu’elle est très pure. Mais, au moment de la mort, malade et près de mourir, la personne doit nécessairement devenir honnête. Il n’y a plus rien à cacher, plus de comédie à jouer. C’est la racine de la raison de l’enseignement du Bouddha sur la mort. Jusqu’à la mort, pendant toute notre vie, nous devons faire de notre mieux, donner un sens à notre existence pour qu’au moment de la mort, nous n’ayons ni regrets, ni peurs, ni remords, pour que nous ne soyons pas dépassés par cet évènement. Si, durant notre vie, nous avons une pratique qui lui donne un sens, alors, nous pourrons mourir en paix.

Je voudrais partager avec vous une anecdote. Quand j’étais en Asie du Sud-Est, une personne m’a demandé: « Qu’est-ce qui vous donne le plus de contentement dans la vie ? » C’est une très bonne question. Moi-même je voulais savoir. J’ai bien réfléchi et je lui ai donné le résultat de mes réflexions. « Ce qui me donne le plus de contentement, c’est de savoir que je pourrai mourir en paix. Ce qui me donne le plus de contentement, c’est tout ce qui peut me permettre d’être en paix au moment de la mort. J’ai souvent repensé à cette question, et ma conclusion est: « Oui, c’est cela la vérité ».

Plus tard, on m’a demandé conseil, et j’espère que ce conseil est judicieux, j’ai recommandé à la personne: « Au moment d’entreprendre une activité, de prendre une décision, pensez à la manière dont vous reverrez cette activité ou cette décision au moment de la mort. Pratiquement, tout ce qui, au moment de la mort, sera vu de manière positive peut être entrepris. Tout ce qui, au moment de la mort pourra engendrer un regret, il vaut mieux y repenser ».

C’est pour cette raison, je pense, que le Bouddha a beaucoup parlé de la mort dans son enseignement. Le principal enseignement du Bouddha sur la mort est relativement simple. Les enseignements du Bouddha sur la mort sont très vastes et font l’objet de nombreux volumes. Mais l’essence-même du principe est plus simple que ce que l’on pourrait croire.

L’enseignement du Bouddha dit que la mort est la mort du corps. Le corps meurt quand il n’est plus un réceptacle approprié, quand il ne peut plus fonctionner de manière satisfaisante. L’esprit, quant à lui, ne meurt jamais. Le réceptacle suivant de l’esprit sera trouvé par l’esprit. Ce tournant de l’esprit est un peu comme un tournant de jugement, pas un jugement qui vient d’en haut, mais dans le sens suivant: si, dans cette existence, quelqu’un a des circonstances très positives, et s’il les utilise pour donner un sens à cette existence et réaliser des actions positives, alors le réceptacle suivant qu’il trouvera sera un réceptacle encore meilleur. Si, au contraire, malgré ces circonstances positives, il ne leur donne pas un sens positif, alors, le prochain réceptacle ne sera pas le même, il sera moins bon.

Mais c’est le corps qui meurt, ce n’est pas l’esprit. Voilà le véritable fondement de l’enseignement du Bouddha sur la mort.

Le conseil du Bouddha concernant la mort est celui-ci: Donnez le plus de sens possible à cette vie-ci! C’est un conseil simple. Si vous pouvez le mettre en pratique, la mort ne signifie rien d’autre que changer de maison. Ainsi, la mort est parfaitement O.K sans rien d’effrayant. Sinon, la mort devient quelque chose de terrible, d’effrayant, car, effectivement, à la mort, nous perdons toutes nos possessions, tous nos amis, et la vie prochaine commencera sans rien.

En tant que bouddhistes, nous pouvons réagir à différents niveaux face à la mort. Au niveau conventionnel et au niveau « mystique ».

niveau conventionnel

Au niveau conventionnel, il y a deux aspects: celui qui nous concerne et celui qui concerne les autres, les relations que nous pouvons avoir avec autrui. En tant que bouddhistes, qui comprenont le côté positif de l’existence, la manière de lui donner tout son sens, ce qui nous concerne est de mettre tout cela en pratique. Le savoir et le pratiquer dans la vie quotidienne.

En ce qui concerne la pratique, il y a plusieurs niveaux: la pratique mentale et la pratique physique. La pratique physique, c’est l’activité que l’on peut avoir tous les jours, pour aider. La pratique mentale, c’est la pratique de la méditation. Il faut pratiquer tout ce qui est en accord avec l’enseignement du Bouddha. Le Bouddha est un être éveillé qui a vécu il y a 2500 ans, qui a enseigné 45 ans, qui a eu des disciples qui ont propagé cet enseignement. Cette propagation se perpétuant jusqu’à nos jours est appelée lignée. - Y a-t-il véritablement une lignée pour tous les enseignements du Bouddha ? Non. - Ces enseignements du Bouddha pour lesquels n’existe pas de lignée, est-ce que vous les enseignez ? Et je vous répondrai: « Non, je ne les enseigne pas ». - Tout ce que le Vajrayana enseigne, est-ce que cela provient de la parole du Bouddha par ce processus des lignées ? Je réponds: Oui. Si on a la confiance, si on a la foi, on peut directement pratiquer cela. Sinon, il faut apprendre, mettre tout son temps et toute son énergie à apprendre. Le bienfait de cette étude, c’est de gagner cette foi, cette confiance, et c’est très important. Sans la foi, sans la confiance, il n’y a pas de fondement solide dans ce que nous faisons. Il n’y a pas de sens véritable. Donc, tout ce qui vient en lignée ininterrompue du Bouddha, on peut le pratiquer, lui donner tout son sens, et avec notre foi, aller de l’avant. Sinon, il faut étudier pour comprendre, pour comprendre en profondeur, pour comprendre de façon précise cet enseignement. Quant à moi, j’aime beaucoup étudier.

Le principal processus de la pratique personnelle est un très vaste sujet. On peut, toutefois, distinguer quelques étapes principales. 1ère étape: rendre son propre potentiel gérable. Exemple: nous ne pouvons boire de l’eau polluée; il faut la rendre utilisable. Nous avons tous un potentiel à utiliser, mais ce potentiel est souillé par des peurs, des névroses, tout un tas de problèmes. Il faut donc nous rendre productifs. 2ème étape, l’intention et l’action. L’intention est la discipline de l’esprit. L’action est la discipline du corps et de la parole. Avec une discipline juste, on peut entrer dans la pratique. Il y a donc deux phases : une phase de préparation et une phase d’utilisation de ce potentiel, en se basant sur les deux disciplines. Tout ceci est un exposé simple de ce qu’il nous faut cultiver en cette existence afin que cela nous aide dans une existence future.

Vraisemblablement, nous ne nous souviendrons pas de ces étapes, ou alors une personne sur un millier, se rappellera du stade auquel il était parvenu dans sa vie précédente. Mais, nous pourrons continuer à partir de là, vers l’éveil complet, la bouddhéité, en anglais « Buddha Hood », et j’ai encore bien du mal à savoir ce qu’est ce « Hood ». Je comprends Bouddha, mais « Hood », c’est une sorte de chapeau. Cela est notre développement personnel.

En ce qui concerne ce que nous pouvons faire pour autrui, il en faut la capacité. Il existe plusieurs types de capacité: une capacité de savoir, de connaissance, de sagesse. Il faut pas mal de temps pour l’accumuler. Mais si nous sommes sincères et purs, il ne faut pas trop longtemps pour aider les autres. Nous pouvons faire preuve de compassion, avoir une présence pleine de bonté aimante. Ainsi, nous pouvons aider les autres, et des personnes à l’article de la mort. Les personnes mourantes sont ouvertes. Elles ne sont plus cyniques, ni têtues, ni bornées. Combien peut-on leur apporter, c’est difficile à dire, mais on peut simplement être là et générer de la compassion. Il est très précieux pour cette personne de mourir dans une atmosphère de compassion. Au moins çà, nous pouvons le faire. Si on développe également connaissance et sagesse, c’est autre chose, mais, en tous cas, çà, nous pouvons vraiment le faire, et c’est très précieux.

Une des choses les plus importantes à faire à ce moment, c’est de ne laisser s’installer aucune espèce de négativité.

Je vais vous raconter une histoire : Un grand maître était, malade, sur son lit de mort. Seuls, ses disciples principaux sont là autour de lui, s’accrochant à lui désespérément. Ils crient et se lamentent: « S’il vous plaît, maître, ne mourez pas, ne nous laissez pas! Ils crient et se lamentent de manière hystérique. Le grand maître se redresse d’un coup et dit: « Je ne peux abandonner personne. S’il vous plaît, laissez-moi mourir en paix! ».

Il est très important de ne rien dire, de ne rien faire de négatif en présence d’un mourant. La force la plus aidante, la plus positive est la compassion, la bonté aimante. Générer compassion et bonté aimante, ce n’est vraiment pas du tout difficile en présence d’un mourant.

C’était le niveau conventionnel en ce qui concerne notre propre mort et la mort d’autrui.

niveau ultime

En ce qui concerne le niveau ultime, l’enseignement bouddhiste Vajrayana sur la mort, c’est le bardo. Pour les bouddhistes, et ceux qui s’intéressent aux enseignements bouddhistes, le terme bardo est synonyme de « mort ». Ce n’est pas entièrement vrai. Il y a plusieurs aspects du bardo. Par exemple, les six bardos: le bardo de la contemplation, le bardo du rêve, le bardo de la nature phénoménale, le bardo du moment de la mort, le bardo d’avant la mort, le bardo d’après la mort. Il n’y a donc pas une connexion unique et directe entre le bardo et la mort.

Voyons cet aspect particulier du bardo relié à la mort.

Dans le texte sur le bardo, la partie principale s’appelle le Sipa bardo. Sipa est difficile à traduire. Il veut dire possibilité, et son opposé « mi sipa » veut dire impossibilité. Sipa s’applique à tout ce qui est présent dans l’univers, à toute chose possible dans l’univers. Ici, le terme Sipa est utilisé dans le titre pour désigner le moment entre la mort et la prochaine manifestation dans le monde. En réalité, le bardo du moment de la mort et le Tcheu Nyi bardo, le bardo de la nature des phénomènes sont impliqués également. Mais le Sipa bardo est le sujet principal.

Quand on déroule l’enseignement sur le Sipa bardo, il y a trois niveaux, et c’est la clé pour comprendre cet enseignement. Le premier de ces bardos se divise lui-même en deux : le bardo de la première claire lumière et le bardo de la seconde claire lumière.

La première claire lumière : quand une personne meurt, la conscience, supportée par les énergies subtiles circulant dans le corps, est proche des associations et des ( ?? )

Ce processus de la séparation du corps et de l’esprit est absolument le même que celui de l’entrée de l’esprit dans notre corps, sauf que cela se déroule dans le sens inverse. De même, lorsque quelqu’un entre dans une maison par la porte et qu’il en ressort par la même porte, il effectue le même chemin en sens inverse. Il y a cependant une différence: quand l’esprit entre dans notre corps, notre corps n’est pas solide tel que nous le voyons maintenant. Quand il quitte le corps, le corps est solide et éventuellement malade.

Quand nous entrons dans ce corps, c’est directement la fin du troisième bardo. Quand nous le quittons, c’est directement le commencement du premier bardo. Si bien que la première claire lumière et le moment où l’esprit entre dans le corps sont les deux opposés dans ce processus cyclique.

Pour décrire ce processus subtil de séparation du corps et de l’esprit, on peut regarder le moment où l’esprit entre dans le corps. C’est alors ce que l’esprit a à faire avec ce corps qui donne naissance à ce corps. Et l’inverse, c’est quand on quitte cette structure qui a été créée par notre esprit.

Ce processus d’entrée de l’esprit dans le corps est traité dans les enseignements du Vajrayana, dans le troisième bardo. L’esprit est intimement associé à l’aspect subtil de l’énergie et avec l’aspect le plus subtil de notre corps physique. Quand cet esprit entre dans l’aspect subtil du corps physique, il entre dans un certain état de « coma » ou inconscience. L’esprit inconscient et l’énergie subtile restent ainsi dans cette aspect physique qui provient de notre père et de notre mère. Au bout de 29 jours, cette énergie développe en son centre une sorte de tube. Ensuite, à partir de ce tube, se développent des structures plus complexes qui aboutissent finalement à des yeux, des oreilles, des mains, des organes internes, jusqu’aux éléments les plus fins de notre corps, comme les pores de notre peau. Dans chaque partie de notre corps, jusqu’à l’aspect le plus infime, il y a un aspect physique grossier, un aspect physique subtil, un aspect énergie et un aspect esprit. Ceci est le processus de création d’un individu, le processus d’entrée de l’esprit dans le corps.

Cela signifie simplement que, par ce processus, l’esprit s’installe dans une forme physique. Il y entre. Il y fait sa place. Il s’y installe. Il y reste. Il s’y enracine pour toute une vie. Ceci est un premier aspect. Dans un deuxième aspect, cette qualité infinie de l’esprit, cette qualité illimitée de l’esprit, devient limitée par ce corps qui, évidemment, a ses limites.

Quand une personne approche du moment de la mort, cela veut dire que le corps n’est plus un logement adapté pour l’esprit. Parce que les énergies subtiles ne sont plus correctement véhiculées par ce corps grossier. C’est pour cela que survient la mort. Dans les enseignements sur la première claire lumière, toutes sortes de signes sont décrits sur ce processus de dissolution. Il est dit: « Ce corps physique, terre, eau, feu et air, auxquels il faut ajouter l’élément espace, se dissolvent dans les mêmes constituants de l’univers. C’est d’abord l’aspect subtil qui se dissout. Même avant d’être médicalement mort, l’aspect subtil, énergétique du corps commence à se dissoudre. Le mourant ressent alors un sentiment d’incohérence entre l’esprit et le corps. Cette dissolution provoque tous les signes décrits comme annonciateurs de la mort, au moment de l’apparition de la première claire lumière. Lorsque tous ces signes se produisent, les conditions pour mourir sont en placent.

J’espère que ce que j’ai expliqué a quelque sens pour vous. J’espère cela deviendra bénéfique dans votre pratique. En effet, que nous le voulions ou non, nous devrons tous mourir un jour. Il est important de nous préparer à mourir en paix.

Première question de Jean-François Gantois, qui a déjà interrogé Khènpo Tsultrim Gyamtso Rinpotché, Tènga Rinpotché et Eric Marié :

« Pour des raisons médicales, les dons d’organes ne peuvent être faits que juste après la mort. Ce don peut-il être rendu en partie négatif si le donneur n’est pas consentant et que le prélèvement engendre des sentiments négatifs et des peurs chez le donneur, n’y-a-t-il aucun risque à donner ses organes si l’on n’est pas très sûr de soi, si l’on n’a pas un développement spirituel suffisant ? Une compatibilité spirituelle est-elle nécessaire entre le donneur et le receveur ? »

Réponse de Rinpotché : Je pense que c’est une très bonne chose de faire don d’organes si les gens désirent le faire. Le consentement de la personne pour un prélèvement d’organe est une chose assez infime. En réalité, au moment du prélèvement, il n’y a plus personne dans le corps. Toutefois, si quelqu’un s’y oppose de manière catégorique durant sa vie, probablement qu’on ne fera aucun prélèvement. Il faut ici faire preuve de bon sens. Si on a un bon développement spirituel, c’est toujours meilleur. Mais, en ce qui concerne le don d’organes, c’est surtout l’organe qui doit être bien développé plutôt que la spiritualité. La compatibilité entre les personnes semble très bien. Mais il n’ay pas une grande différence de nature si les gens sont compatibles ou pas. Par exemple, si on mange un certain type d’oignon tous les jours, peut-être vivrons-nous dix jours de plus. Si on ne le mange pas, peut-être vivrons-nous dix jours de moins. Voilà un peu le genre de différence que l’on peut trouver. Peut-être en est-il différemment si on transplante des cerveaux, mais peut-être y-a-t-il des gens qui fonctionnent très bien avec un cerveau d’occasion, un cerveau de seconde main.

La seconde question de Jean-François Gantois a trait aux mères porteuses mercenaires.

« Ne vaut-il pas mieux adopter un enfant ou consentir à ce que le conjoint fécond ait des relations sexuelles avec un partenaire fécond, car un embryon conçu sans amour, en laboratoire, ne risque-t-il pas d’en souffrir ? »

Réponse de Rinpotché : Si je comprends bien, cette question n’est pas un sujet qu’on puisse vraiment trancher. Toutes ces différentes activités ont une cause principale dans l’attitude émotionnelle à l’égard de ces différentes activités. Certains veulent avoir un enfant, mais d’une certaine manière, et pas n’importe quel enfant. Certains autres préfèrent adopter un enfant. L’une ou l’autre solution va bien, cela dépend des personnes. En ce qui me concerne, ce qui me semble le plus naturel, c’est d’adopter un enfant. Des parents ont un enfant, qu’ils aiment, et pour différentes raisons pratiques, ils ont des difficultés. Vous-mêmes, vous désirez adopter un enfant. Il me semble que la motivation est valable. En outre, dans ce genre de cas, il y a des bienfaits pratiques. C’est ce que moi, je préfère, mais ce n’est pas, nécessairement, ce que les gens doivent faire. Cela dépend de l’inclination particulière de chacun.

La troisième question de Jean-François Gantois traite de l’inconduite sexuelle.

Sur le sujet, Khènpo Tsultrim dit : « Si les gens n’ont ni jalousie ni agression, pourquoi ne pas faire selon son désir sexuel ? Pourquoi faire obstacle à la satisfaction du désir ? Si l’esprit n’est pas satisfait, il s’ensuit une grande souffrance ».

Au contraire, en s’appuyant sur les soutras, Tènga Rinpotché s’en tient à une morale sexuelle très stricte.

Question annexe de Jean-François Gantois :

« Si ces réponses sont vraiment contradictoires, à moins qu’elles reflètent des perspectives différentes, comment des êtres ayant une réalisation spirituelle peuvent-ils donner des réponses opposées sur de tels sujets ? ».

Réponse de Sitou Rinpotché : Khènpo Tsultrim Rinpotché et Tènga Rinpotché sont tous deux mes amis. Je ne peux rien dire sur eux. Il faut les laisser tous deux hors de cette histoire.

En fait, le type de réponse qu’on obtient quand on pose une question dépend de la manière dont la question est posée, de la raison profonde pour laquelle on pose cette question, des circonstances autour de cette question au moment précis où on la pose. C’est pourquoi il n’est pas étonnant que l’on obtienne des réponses différentes à ce que l’on croit être la même question. C’est peut-être un jeu comme les journalistes peuvent faire en posant une question à des gens apparemment différents qui vont voir à droite à gauche.

De toute façon, je vais les laisser tranquilles avec cette histoire de contradiction, et je vais donner ma réponse sur l’inconduite sexuelle et le désir : Le désir ne sera jamais satisfait. Non seulement le désir sexuel, mais tous les désirs ne seront jamais satisfaits. Par exemple, le désir d’argent. Si on a un million de francs, alors, certainement, on voudra avoir un million et demi de francs, parce qu’on aura investit de façon à dépenser ce demi million. Puis, on voudra avoir deux millions, les bénéfices de ces deux millions, etc... Puis, on voudra devenir l’homme le plus riche du monde. Et alors, on deviendra fou. Il n’est pas du tout correct d’être ainsi dominé par notre désir. Le désir et l’égo sont intimement liés. Nous devons considérer notre égo comme un bon serviteur, mais comme un très mauvais patron. On ne doit pas se laisser mener par le désir. Il ne faut pas que le désir en fasse à sa tête. Toutefois, il ne faut pas non plus être fanatique sur cet aspect des choses. Certains désirs ne sont pas entièrement négatifs. Il faut parfois reconnaître le côté positif de certains de nos désirs. Il faut travailler sur la clarté, la capacité de voir la profondeur de chaque situation, et voir dans chaque circonstance, comment on peut s’en sortir.

De toute façon, les réponses contradictoires n’ont pas vraiment d’importance, et on a bien le droit d’être contradictoires!

Quatrième question de Jean-François Gantois : Les veillées de mort et l’attitude d’un esprit face à la mort.

« Rinpotché a répondu auparavant quant à l’attitude à avoir face à un mourant. Tènga Rinpotché a souligné l’importance de la prière et du sentiment d’amour et de compassion. Khènpo a dit la même chose, mais a ajouté : “les pensées qu’on peut avoir en présence d’un mourant n’ont pas d’importance” ».

Réponse de Sitou Rinpotché : Je pense qu’il y a un petit problème de communication ou de traduction. Les pensées en présence d’un mourant ont de l’importance, et non pas le contraire.

Cinquième question de Jean-François Gantois : l’avortement.

« Les deux Rinpotchés condamnent l’avortement. Mais, Khènpo Rinpotché déclare que, dans certaines circonstances, par exemple dans un pays misérable et surpeuplé, faire un avortement peut être motivé par l’amour et la compassion, et être un acte conforme au Mahayana. Enfin, il pense que, s’il n’y a pas moyen de convaincre les femmes de ne pas avorter, il vaut mieux le faire en hôpital que de les abandonner à des charlatans ».

Réponse de Sitou Rinpotché : C’est tout à fait vrai, tout à fait juste. Effectivement, il n’est pas correct de tuer. Donc, l’avortement, qui est un acte de tuer, même si ce n’est pas un être entièrement constitué, est un acte négatif. En revanche, la contraception, elle, n’est pas négative. Faire attention ou utiliser la contraception est une conduite assez sage, conduite qui permet de ne pas se mettre dans une situation telle que l’on sera confronté au problème de l’avortement. Tout est affecté par la motivation avec laquelle c’est accompli. Si la motivation est pure, l’acte prend une autre coloration. En ce qui me concerne, je ne peux, en aucune manière, encourager l’avortement. Voilà ce que je pense qui se dégage de l’enseignement du Bouddha.

Question dans le public :

« Dans un chapitre de l’entraînement de l’esprit en sept points, il y a un enseignement sur la mort, et sur ce que l’on doit faire au moment de la mort de quelqu’un, et il y a un certain nombre de procédés qui sont indiqués, certains utilisent des aimants et toutes sortes de décoctions. Comment des procédés de ce genre peuvent avoir un effet quelconque au moment de la mort ? ».

Réponse de Sitou Rinpotché : Je ne conteste pas, mais je ne me rappelle plus très bien....

 

 

 

Ainsi, l’amour et la compassion peuvent être décrits comme la cause et la condition de tout bonheur qui puisse exister. Il y a une expression qui se traduit ainsi : « tout bonheur et toute joie sont toujours reliés à l’attention aux autres, au soin des autres. Toute souffrance est reliée à l’égoïsme, au souci de soi-même ». Si nous nous asseyons tranquillement et réfléchissons à ceci, si nous l’examinons, nous trouverons que cela a du sens. En tous cas, pour moi, cela a du sens.

Maintenant, explorons un peu ces enseignements qui ont été donnés par le seigneur Maitreya. Il existe cinq enseignements ou cinq textes appelés « les cinq dharmas de Maitreya ». Ils ont été enseignés par Maitreya à de grands érudits et au Mahasiddha Asanga qui avait un degré de réalisation extrêmement élevé. Asanga pratiqua Maitreya durant douze années, et finalement, reçut ces cinq enseignements.

Ces cinq enseignements sont intitulés: 1- la prajnaparamita abhisamaya alankara. 2- le mahayana soutra alankara. 3- le dharma et nature de dharma. 4- centre et périphérie. 5- le mahayana outtara tantra.

Ces cinq textes sont les cinq enseignements donnés par le Bouddha Maitreya. Ils sont uniques car le Bouddha Maitreya, suivant la prophétie du Bouddha Shakyamouni, est le Bouddha du futur. Il n’est pas encore Bouddha. Il a enseigné ces cinq à un être humain, Asanga, peu de temps après que le Bouddha Shakyamouni ait donné son enseignement. C’est ce qui fait son caractère exceptionnel. Mais, dans le principe, ces enseignements sont absolument identiques aux enseignements du Bouddha. Tout ce que Maitreya a enseigné, là, a été enseigné par le Bouddha dans les soutras, les tantras, ses divers enseignements. Mais, quelque chose de spécial caractérise ces enseignements de Maitreya.

Par exemple, si on prend le premier texte, la Prajnaparamita Abhisamaya Alankara, il y expose non seulement la philosophie, mais donne aussi les instructions de méditation. Ce texte est une explication sur shounyata, la vacuité. C’est plus qu’une explication philosophique, ce sont vraiment des instructions de méditation, car, en les suivant, on peut se développer progressivement et atteindre la réalisation de shounyta, la vacuité. Cet aspect est la caractéristique des enseignements du seigneur Maitreya. On peut dire le seigneur Maitreya ou Lord Maitreya, bien que seigneur fasse un peu pompeux en anglais. Si on a une graine de rose, on peut l’appeler « rose », mais ce n’est peut-être pas tout à fait pareil.

L’enseignement complet du boddhisattva Maitreya peut se résumer en des points très simples. Ces cinq enseignements peuvent être décrits comme un seul texte composé de cinq chapitres allant de la Prajnaparamita du Mahayana jusqu’à l’Anouttara Yogatantra. Il commence par la vacuité et se termine par la nature ultime de bouddha, ses qualités, son développement total. On peut donc le voir comme un enseignement abrégé ou condensé de tout le bouddhisme. Mais, quand je regarde cet enseignement, je le trouve très unique, car tant de choses qui y sont enseignées vont au-delà d’une structure unique particulière, d’un concept unique particulier, ceci d’une façon si merveilleuse qu’il ne nous est pas difficile de le comprendre. Cela ne crée pas de contradiction en nous. Ce texte est donc très significatif, très inspirant, en tous cas, pour moi. Je dis cela, car une chose inspirante a deux aspects : l’aspect d’aspiration qui soutient nos qualités psychologiques, et l’autre aspect qui peut, par sa force, nous emporter. Et alors, on devient trop spécifique sur ce point. Une expression dit « Ne pas devenir fanatique est merveilleux, mais si vous êtes fanatique, il sera très dur de ne pas être fanatique ».

On peut comprendre ceci par la manière dont Asanga fit la pratique de Maitreya et par la façon dont il reçut ces enseignements. C’est une histoire assez longue et très.

Asanga pratiqua Maitreya trois ans en méditation, ceci sans résultat. Il sortit donc, déçu. Il entendit un son constant, complet. Il aima ce son et le suivit pour en découvrir la source. Il la trouva sur le bord d’un rocher: une goutte d’eau tombait de ce rocher sur une partie plate, de façon constante et précise. Par cette constance et cette précision, les gouttes d’eau faisaient un trou dans le rocher. Il comprit ainsi que le but peut être atteint par l’effort constant. Nous avons besoin de patience, de diligence et de précision. Il retourna alors trois ans en méditation sur Maitreya. Cette sorte de situation se reproduisit trois pour Asanga, de trois manières différentes. Cela le mena à douze ans de méditation. Chaque fois qu’il sortait, il rencontrait une circonstance si réelle qu’elle le motivait à rentrer en retraite. Mais, au bout de douze ans, il n’avait toujours pas de résultat et était très déçu. Il quitta sa retraite et s’éloigna très déçu. Ce faisant, il traversa un passage difficile, un chemin escarpé. Il entendit l’aboiement d’un chien qui aboyait contre lui. Il s’en approcha et vit qu’il était malade, que la moitié de son corps était putréfié et pleine de vers. Il vit aussi que l’autre moitié du chien avait peur et aboyait contre lui. Il pensa: « Comme ce chien est malheureux, physiquement et mentalement. Par ignorance, il essaie de se défendre contre moi au lieu d’une attitude gentille pour être aidé! ». Ceci développa en Asanga un grand amour et une grande compassion. Il se demanda que faire. Il vit les vers, il vit le chien. Les vers étaient aussi des êtres vivants qui veulent vivre, et le chien, un être vivant qui veut vivre. Asanga voulait sauver le chien mais ne voulait pas tuer les vers. Il voulait sauver les vers, mais ne voulait pas laisser mourir le chien. Il réfléchit et trouva une solution claire. Il se dit: « Ces vers ne vivront pas longtemps, mais pour vivre, ils ont besoin de viande. ce chien vivra plus longtemps, mais pour vivre, il a besoin d’être débarrassé des vers. Et de la viande, moi j’en ai ». Il se coupa la moitié de la cuisse pour les vers. il ne voulait pas écraser les vers avec ses doigts en les retirant de la blessure. Aussi, il essaya de lécher la blessure avec sa langue pour retirer les vers. L’odeur était insupportable. Il ferma donc les yeux pour lécher la blessure. Or, sa bouche, au lieu des vers, ne rencontra que la poussière. Il ouvrit les yeux, le chien avait disparu. Il leva les yeux et il vit Maitreya. Ce chien était Maitreya. Et c’est ce chien qui a fait le dernier travail nécessaire pour la réalisation de Asanga. Alors, avec des larmes, Asanga regarda Maitreya et lui dit: « Comment avez-vous pu être aussi dur avec moi pendant douze années ? » Maitreya répondit: « Je suis toujours avec chacun, et aussi en chacun ». Nous avons tous quelque chose de Maitreya, et quelquefois, ça sort, comme le petit oiseau de l’horloge - Maitreya dit alors à Asanga de marcher sur le chemin en le tenant au-dessus de lui. Un porteur vit Asanga marcher avec un petit chien sur son épaule. Il s’arrêta et lui dit: « Êtes-vous fou pour porter un chien sur votre épaule ?